L’origine des plateformes

A l’origine, les plateformes n’entendaient être que des plateformes, c’est-à-dire, concrètement, des hébergeurs : à charge pour ceux qui publiaient sur ces hébergeurs d’apporter leurs propres contenus. Et le business model était le suivant : les éditeurs paient le service rendu par l’hébergeur, qui se trouve être une simple société de services.

Ainsi devenait-il techniquement possible à n’importe qui de publier n’importe quoi, le meilleur et le pire, comme la langue d’Esope. Les professeurs qui vous instruisent en vertu d’une compétence qui leur est reconnue peuvent témoigner de ce qu’est la magie de ces réseaux où l’on voit s’exprimer sur un pied d’égalité l’ignorant et le savant. Et pourtant, à l’usage, on peut dire que cette facilitation des communications a pu améliorer la transmission des connaissances vraies : ce qu’il faut, évidemment, à celui qui a accès à ces réseaux, c’est la possibilité de trier entre le bon grain et l’ivraie, et généralement il n’a pas cette possibilité autrement qu’après avoir suivi un long enseignement auprès de professeurs expérimentés et fiables.

Les effets inattendus des réseaux sociaux

Un effet totalement inattendu de l’aspect marketing de ces réseaux a été de polariser chaque utilisateur sur ses propres centres d’intérêts, là où l’on attendait au contraire une extension du domaine du dialogue entre les hommes et les cultures : c’est un des sujets du remarquable documentaire The social dilemma, improprement traduit chez nous en un titre peu évocateur : « Derrière les écrans de fumée ».

Dans un second temps de cette aventure des réseaux, on a vu certains Etats, et non des moindres, c’est-à-dire globalement ceux qui dominent le monde, s’inquiéter de ce que leurs idéologies fondatrices, leurs croyances profanes, soient mises à mal par la liberté d’expression ainsi multipliée, une liberté produisant naturellement une diversité incluant une masse d’informations erronées et d’affirmations sans fondement. Les Etats considérés ont pris peur, et ont ainsi imposé aux plateformes d’assumer une responsabilité d’éditeur : or, selon les différentes lois sur la presse, l’éditeur est pénalement responsable du contenu publié par les auteurs.

La question de la censure sur les réseaux sociaux

Mais alors s’est posée dans un troisième temps la question qui se pose toujours quand on entreprend de censurer des contenus que l’on juge soi-même indésirables : soi-même, c’est-à-dire sans s’appuyer sur une loi précise. La question est simple quand il s’agit de trafic d’armes illicite, ou de drogue, ou de pédophilie : autant de sujets qui se croisent dans une morale naturelle universelle (encore que, s’agissant de pédophilie, certaines cultures la pratiquent plus volontiers que d’autres, ce qui réduit dans ce cas la portée universelle de la morale). La question se complique quand il s’agit de fixer une limite à cette censure, sous des motifs plus difficiles à cerner : qu’est-ce donc par exemple qu’un appel à la haine ? La haine est un sentiment, pas un acte, et la loi ne réprime que des actes, sauf à devenir capricieuse, discrétionnaire. Et à vrai dire, on a vu peu à peu les plateformes, devenues éditrices, censurer de plus en plus de contenus pour des motifs idéologiques qui leur appartenaient en propre. D’où le malaise éprouvé, à gauche comme à droite, devant le comportement de ces plateformes aujourd’hui, où non seulement il n’est plus possible de faire entendre une opinion dissidente, mais plus possible non plus de formuler aucune accusation ni défense, ni sympathie pour aucune dissidence. Telle est la conséquence inattendue de la progression des réseaux sociaux, derrière lesquels s’est édifiée toute une architecture de pouvoir mêlant le législatif, le judiciaire et le médiatique : une préemption du débat public par des acteurs privés.

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